Éléphants en peluche, robes d’enfants, images de Bouddha, fruits, friandises, billets de loterie, quotidiens et magazines… tout se vend à la gare routière de Yangon (Rangoon), ville principale du Myanmar (Birmanie). Les marchands se pressent aux fenêtres des cars et dans les allées des salles d’attente des nombreuses compagnies qui sillonnent le pays, pour présenter leurs trésors afin d’empocher quelques kyats – la monnaie locale.
Juste une journée dans la ville, avec la visite incontournable de la pagode Schwedagon, entièrement recouverte d’or ; lieu de recueillement et de prière, lieu de vie aussi.
Ce voyage a pour ancrage principal le lac Inlé, où, chaque année à l’automne, pendant deux semaines, a lieu le festival de la pagode Phaung Daw U.
Crachats savamment concoctés
Alléchante perspective pour l’atteindre : une quinzaine d’heures de route afin de gagner Schwenyaung, ville à proximité du lac.
Conditionnement nécessaire pour la préparation au voyage, qui sera forcément inconfortable : surtout ne pas penser à ses genoux qui vont, pendant tout ce temps, racler le dos du siège de devant (la morphologie européenne est souvent difficilement compatible avec les habitacles des transports locaux !), ne pas imaginer que les babillages pour l’heure aimables des enfants en bas âge assis juste devant et derrière se transformeront en cris ou en pleurs dans les heures à venir lorsque la saturation sera atteinte, essayer de rester sourd aux crachats savamment concoctés par un voisin ou par les éructations d’une voisine souffrante, se faire une raison parce que la climatisation ne parviendra jamais à rafraîchir l’habitacle… bref, faire preuve de patience et savoir attendre que les heures s’égrènent, en s’ingéniant à tenter de profiter de l’instant…
Tension insidieuse et tenace
Car les désagréments sont vite gommés par des émotions liées aux contacts qui se nouent nécessairement avec les voyageurs locaux. Avenants, souriants, curieux, ils sont en effet avides de relations et d’échanges dans un pays que l’on sait fermé depuis des décennies, voire tenu d’une main de fer par une junte qui s’appuie sur la délation et a créé un climat de méfiance au sein de la population. Une tension insidieuse et tenace que le voyageur étranger ne perçoit pourtant pas; l’armée n’est pas omniprésente dans les rues, la vie semble se dérouler sans heurts, tout du moins dans les zones du pays ouvertes aux voyageurs étrangers…
Un décalage surprenant avec les récits et reportages ! Suis-je vraiment dans le pays qualifié comme l’une des pires dictatures au monde, avec un régime considéré comme l’un des plus corrompus et répressifs au monde, où plus de 2.000 détenus politiques resteraient encore enfermés dans les geôles ? Le voyageur s’interroge personnellement, mais ne questionne pas pour ne pas embarrasser les habitants qu’il rencontre. Les langues se délient seulement – mais timidement – dans des lieux peu fréquentés ou après plusieurs rencontres, alors que la confiance a commencé à s’installer.
Une autarcie qui nourrit l’identité
On parle peu de l’opposante Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix 1991, toujours assignée à résidence au moment de ce voyage. Mais on apprend à tout doucement à s’imprégner du pays, on satisfait sa curiosité en s’informant sur la vie quotidienne, marquée en Birmanie par un attachement à une identité forte. Et, étrangement, l’autarcie dans laquelle vit se pays nourrit cette identité, préserve les valeurs, le style et le rythme de vie du pays. Et, en dépit des difficultés, la population semble y rester sereine et amène.
Les voitures particulières sont encore extrêmement rares sur les routes birmanes et ce sont essentiellement des bus, des camions surchargés et poussifs, des taxis collectifs bondés qui y circulent. Les heures s’égrènent dans le car.
Une capitale au calme plat
Au milieu de la nuit, passage à travers les rues désertes de Nay Pyi Daw, nouvelle capitale du pays depuis 2005, à 300 km à l’intérieur des terres ; les voyageurs étrangers n’ont actuellement pas le droit de faire étape dans cette ville, construite de toutes pièces au milieu de nulle part. Pas beaucoup de commentaires à faire sur cette traversée éclair, juste ponctuée par un contrôle militaire. Regards rapides posés sur des immeubles gouvernementaux flambant neufs bordant de larges avenues sans circulation, L’animation est complètement inexistante dans une cité pourtant érigée au rang de première ville du pays. Le déplacement de la capitale serait lié à la volonté du gouvernement de se protéger d’une invasion de l’extérieur (Rangoon, proche de la mer, est plus « exposée ») et de mouvements populaires intérieurs (l’endroit est très isolé !)…
Paupières froissées
Vers 5 heures du matin, encore plié en quatre, les paupières toutes froissées, le voyageur est débarqué au carrefour qui mène au lac ; plus qu’une demi-heure en pick-up pour atteindre un lit et trouver la position horizontale réparatrice. Comme c’est jour de marché, la camionnette qui assure le trajet est chargée de produits, au milieu desquels il s’agit de trouver une place, avec une quinzaine de compagnons de route. Au petit jour, le pick-up entre à Nyaungshwe, ville qui sert de base à la visite du lac : un canal à l’eau vert-jaune, des barques noires effilées, des femmes et des hommes qui vont et viennent le long de la berge… oubliées les longues heures inconfortables dans le bus, le séjour au Myanmar commence vraiment !